Il y a toujours une première fois. Le premier jour d’école, le premier amour, le premier emploi, le premier baiser et, bien sûr, la première fois, si immense, de quitter le pays, notre pays, et de s’envoler vers l’ailleurs.
Je m’en souviendrai toujours. Ce qui m’a le plus marqué, le 747 d’Air Canada, le vol 870 vers Paris. J’étais tellement impressionné. Cette puissance au décollage. J’avais 20 ans. Je me sentais important. Je buvais de la bière. On m’apportait cette bière à mon siège. Je volais. Environ 1060 km/h, vers Paris. Je ne me doutais pas de qui allait m’arriver.
Tout de suite à Paris, je me suis senti mal. Plus de paramètre. Je ne connaissais rien. Mon ami Daniel Laflamme en était à sa deuxième expérience. Il était mon guide. Je le suivais pas à pas. Il m’impressionnait. On a pris le RER et le métro. Quand je suis sorti du métro, en clignant des yeux j’ai vu cet immense building. Le Louvre. Je connaissais déjà Gauguin, Vangogh, Toulouse Lautrec. À l’école Secondaire Richard, M. Cassou Lanan, ce professeur d’histoire de l’art, y donnait le cours le plus intéressant. Je désirais profondément me retrouver moi aussi devant une toile, un peu saoul, dessinant une femme nue, jour après jour. J’étais à Paris.
Très rapidement j’ai été déçu par cette ville. Trop gros, trop grand, trop de tout. Je n’ai pas aimé. Tout y était vieux, et il y avait plein de Français. Je n’ai pas aimé les Français. Quand le premier matin j’ai demandé un verre de lait, le gars m’a regardé avec une suffisance totale et m’a dit… « Monsieur n’est pas sevré ? »
Je n’ai tellement pas aimé que j’ai eu peur. Pendant toutes ces premières nuits, j’ai eu peur qu’une guerre mondiale m’empêche de revenir chez moi, à Verdun, pas trop loin de ma famille et de mon dépanneur. À mon hôtel, la peinture décollait du plafond, les lits étaient défoncés, les odeurs… je n’étais pas bien… Il y avait aussi des Noirs habillés en robes… Vous dire à quel point je me promenais en compagnie de mes ignorances. J’étais certain que si je revenais chez moi, plus jamais je ne reprendrais l’avion. Tout était mieux chez-nous.
Je travaillais dans une ferme à la récolte des patates. Mon père me faisait parvenir par la poste les pages de sports du Montréal Matin. J’avais le cœur tellement gros en lisant Jacques Beauchamp. J’écoutais, en buvant du vin, Léonard Cohen et Charlebois: «…je reviendrai à Montréal, dans un grand Boeing bleu de mer, j’ai besoin de revoir l’hiver, et ses aurores boréales…» C’est quand on est loin que ces paroles prennent tous leurs sens. Et Jean-Pierre Ferland avec «…partir quelque part pour partir, pas pour fuir, ni pour y pleurer…» Je n’étais même pas gêné de ne pas aimer être en Europe. Vive notre grande et belle Amérique.
Je traverse le Golf de Gibraltar et me retrouve au Maroc. Au terminus d’autobus de la ville de Tétouan, un homme vient vers moi et me demande si j’ai un hôtel. « Non », lui dis-je en lui montrant ma tente. Il me répond, geste à l’appui, que si je veux faire du camping ici, je risque de me faire tuer… À ce moment là, je me suis dit, que j’étais vraiment dans la m…
Je me souvenais de ce que ma mère m’avait dit juste avant mon départ, au quai d’embarquement de l’aéroport de Dorval: « Pourquoi tu t’en vas, tu n’es pas bien chez nous ? Je n’ai pas été une bonne mère ? Bin voyons donc M’man, les voyages forment la jeunesse y paraît…» Dans le fond de mon oreiller, dans un petit hôtel de Tétouan, je me souvenais de tout ce qui me ramenait à la maison.
Il y eu par la suite le Sahara. L’Algérie. Des pistes de 20 kilomètres de largeurs. Du sable à perte de vue, et dans les dents…
De Dakar, je suis rentré en France en bateau. Et sans le dire à personne, je suis revenu à Montréal. En descendant de l’avion, quelque chose en moi avait changé. L’impression d’avoir rêvé, d’avoir aimé. J’ai pris le bus jusqu’au centre-ville et ensuite la #107 Verdun jusqu’à la rue Osborne. Le 499, rue Osborne à Verdun. Ce lieu qui m’avait tant manqué.
Sans le savoir, toute ma famille était réunie à la maison. J’ai aperçu dans la rue, la nouvelle Toyota Celica de mon frère. Ma mère, juste avant que j’ouvre la porte, disait être certaine que son «tibi» était mort, quelque part sur ces terres sauvages. La porte était ouverte. J’ai sonné et traversé cette porte. Les cheveux en broussailles (j’en avais à l’époque) et la peau noire de souvenirs, j’ai dis «Salut tout le monde !». J’étais au bout du corridor…
Ma petite soeur Roxanne, trois ans, les yeux surpris, s’est mise à courir vers moi en prononçant mon nom sans arrêt. Ma mère aussi a couru vers moi en criant. Mon chien Noireau s’est mis à courir au milieu des jambes de ma soeur et de ma mère. Mon père suivait pas loin. Mon chien a fait tomber ma soeur et ma mère s’est enfargée dans ma soeur, mon père désirant aider ma mère à se relever, est aussi tombé par terre. Tout le monde pleurait. J’ai su à partir de ce moment précis, ce que je désirais faire de ma vie. Revenir de voyage…
Il n’y a rien comme partir, ou encore mieux, revenir de voyage pour se rendre compte de la richesse d’une vie, ou de sa pauvreté. Se rendre compte que des gens nous aiment. Être important. Ce jour là aussi, j’ai su que j’habitais la plus belle terre au monde. Le Québec. Mais je sais aujourd’hui qu’il n’y a qu’une seule route vers cette certitude. Qu’il faut aller voir ailleurs et souvent, pour cueillir à chaque fois le bonheur de revenir.