L’Inde est un beau paradoxe. Elle est belle, fascinante, brillante et totalement chaotique. C’est un chantier perpétuel d’échanges et de contacts intimes. Ses rues désordonnées sont une déflagration d’énergie perpétuelle. On se demande comment les habitants peuvent fonctionner et, certains jours, se nourrir. Ici, la rue sert d’autel, de bureau, de temple, de marché. Et de cuisine. Car avec des clivages religieux, sociaux, tribaux et de castes qui se traduisent par un choix kaléidoscopique et démesuré, la rue indienne propose des cuisines et des rituels de tous les genres qui composent cet immense damas culturel. Le soir venu, les grillades sont reines et on en trouve dans toues les villes du Nord – où végétarisme exclusif des hindous et des bouddhistes côtoie la consommation de viande des musulmans et des chrétiens. L’odeur des braises mêlées à celle des épices et des encens est omniprésente une fois que le soleil brûlant fait place à la fraîcheur (toute relative) de la nuit. Chaque coin de rue de Delhi a son tandouri mobile ou son karwa (une sorte de wok portable), certains marchands ambulants font même des barbecues à même le sol, sur lequel ils confectionnent des splendides kebabs. Dans le quartier musulman du Vieux-Delhi, à l’ombre de la plus grande mosquée d’Asie, les restaurants et les dabbahs (les tea-shops) alignent les grils à même la rue, lesquels font alterner brochettes, pain nan, carcasses de volailles juteuses et jaunies par la marinade au curcuma. La cuisine de rue est fondamentale en Inde. Tant les banquiers que les prêtres et les ouvriers y ont recours quotidiennement. La rue est en fin de compte le seul grand égalisateur qui existe ici.
Robert Beauchemin, La Presse